Blanc (Fin)
Voici la fin de la nouvelle écrite par Isabelle Souchet Leprêtre.
Illustration : Isabelle Souchet.
Pour ceux qui n'ont pas lu le début, cliquez ici
VII
Un soir, alors que j’admirais ma robe, il me sembla que le ruban de soie rose
qui ceinturait la taille n'avait plus tout à fait le même aspect. On aurait dit une
fleur sur le point de se faner. En regardant de plus près, j'aperçus dans un des
plis de la jupe quelque chose qui ressemblait à une tache !
Mon cœur se serra soudain et je me laissais tomber sur le lit. J’avais peur de
regarder à nouveau. C’était impossible que cela soit une tache, je me trompais
certainement. Je me relevais et j'orientais ma robe dans la lumière. Sur le
blanc du tissu, je vis nettement apparaître une auréole d’un gis jaunâtre avec
en son centre une petite tache noire bien dessinée. J'étais anéantie. Je
n'avais pas imaginé une seule seconde que la beauté de ma robe puisse
s'altérer un jour. Je pensais soudain que j'aurais dû la garder à l'abri de sa
housse et qu'au lieu de ça je l'avais exposé à toutes les salissures. Je me
précipitais dans le placard où j'avais rangé sa housse et j'entrepris de la
recouvrir. Une envie de vomir me prit soudain et je me précipitais dans les
toilettes . Je restais longtemps assise sans bouger, repliée sur moi face à la
cuvette des toilettes à vomir. J'avais froid et je tremblais. Je voulus me
déshabiller mais mes gest es étaient maladroits et je n'y arrivais pas. De
désespoir, je me mis à pleurer. Je voulais prendre un bain pour me réchauffer
et pour laver l'odeur acre du vomis qui me faisait horreur. J'essayais de
nouveau de détacher les boutons de ma robe. Avec beaucoup de difficulté, je
réussis à en détacher deux, puis je forçais l'ouverture en déchirant le bouton
qui restait. Le bain ne m'aida pas et la nuit fut plus atroce encore.
Au matin, je n’eus pas la force d’aller travailler et j’appelais Maryse pour lui
dire que j’étais malade. Dix minutes après, le téléphone sonnait. C'était la
responsable du personnel qui tenait à me préciser que si mon absence durait,
il me faudrait un arrêt maladie. J'avais eu du mal à lui expliquer ce qui n'allait
pas . De peur d'être de nouveau obligé de m'expliquer, je débranchais le
téléphone puis j’allais voir dans l’armoire à pharmacie s’il me restait des
somnifères. La boîte était à moitié vide. J'en pris plusieurs et je me
recouchais.
Plusieurs heures après, quand je me réveillais, j'eus de nouveau envie de
vomir. J'avais la tête qui tournait et j'eus du mal à me diriger vers les toilettes.
Je dû me tenir au mur pour avancer. Après avoir vomi, je téléphonais à mon
médecin pour lui demander de passer me voir lors de ces consultations à
domicile. Sa secrétaire nota mon adresse et elle me précisa qu'il sera
certainement chez moi en fin de matinée. En l'attendant j'allais me recoucher.
VIII
Le souvenir que j'ai gardé des jours qui suivirent est assez vague. Je crois que
j'ai beaucoup dormi. Les antidépresseurs que le docteur m'avait prescrits
devaient agir parce que je ressentais moins vivement la douleur. J'avais caché
ma robe dans mon armoire et j'essayais de ne plus y penser. Maryse m'avait
laissé plusieurs messages sur mon répondeur auxquels je n'avais pas
répondu. Le dernier m'avait cependant surprise. D'une voix hystérique elle
m'expliquait que Cassagnes les avait tous réunis pour leur parler des
difficultés de l'entreprise. Il avait même évoqué la possibilité qu'il y ait des
licenciements. À la fin de son message, elle insistait beaucoup pour que je la
rappelle, mais je laissais tomber. Tout m'était devenu indifférent. Je passais
mes journées à traîner sans force et sans désir. Je ne sortais que rarement et
seulement pour faire des courses quand mes provisions étaient épuisées. J'en
profitais toujours pour acheter des fleurs, toutes sortes de fleurs.
IX
Un matin, alors que je renouvelais l'eau des vases, j'eus l'idée de rassembler
les différentes bouquets que j'avais, pour en faire une composition originale.
Un peu, à la façon des créations présentées dans le livre que j'avais acheté
quelques temps plus tôt. Après quelques tâtonnements, je disposais des roses
dans un foisonnement de feuilles de lierre. Puis j'ajoutais quelques anémones
et des lys blancs que j'entourais de feuillage. Ce fut un moment merveilleux.
Il me sembla que je venais de faire quelque chose d'extraordinaire.
Heureuse, j'ouvris la fenêtre de la cuisine et le soleil éclaira la pièce lui
donnant un air d'été. Je regardais le va-et-vient de la rue. À un moment, j'eus
envie de sortir.
Je marchais lentement, uniquement du coté de la rue où le soleil éclairait.
Quelques rues plus loin, j'entrais machinalement dans le premier grand
magasin que je rencontrais. Je pris un escalator et j'accédais à un niveau que
je crus être celui de l'ameublement, mais qui en réalité, était un espace dédié
à des créateurs contemporains. J'errais un moment sans porter une attention
particulière à ce que je voyais, quand, tout à coup, mon indifférence fut
balayée par la force d'une couleur. L'orange vif et chaleureux d'un tailleur
venait de me surprendre. Il ranimait en moi des images de feuillages roux et
dorés. Toute ma peine disparut et je ne pus contenir mon envie de caresser
le mohair lumineux et confortable de cette veste à l'ampleur majestueuse. Ma
main paraissait absorber la puissance de la couleur et il me sembla que je
récupérais un peu de mes forces. Une envie de vivre autrement me traversa
l'esprit et je me dis que ce tailleur pouvait m'y aider. Revêtue de cette enveloppe
protectrice, on devait avoir toutes les audaces. Il me fallait ce tailleur.
Je cherchais fébrilement le prix. Quand je l'eus trouvé, je constatais qu'il
s'agissait d'un modèle de grand couturier et qu'il valait 3850 euros.
J'hésitais…
X
Allongée sur mon lit je suivais du regard l'ondoiement de la lumière au travers
des rideaux tirés. Je savais maintenant que j'avais bien fait de ne pas acheter
ce tailleur, c'était inutile.
En sa présence, quelque chose de fort et de puissant m'avais étreint l’espace
d’une seconde et ce jaillissement lumineux m'avait révélée une force de vie
que j'ignorais. Je repensais au bouquet que j'avais fait ce matin et j'entrevis
un espace inexploré. Jusqu'à maintenant je n'avais fait que ressentir la
beauté mais ce matin j'avais essayé de la révéler. Tel une fée j'avais
transformé la réalité pour mieux la sublimer. Cela me sembla la chose la plus
incroyable que je n'ai jamais faite. Je sentais ce désir de respirer un parfum
nouveau pour garder toujours intact la sensation d'être neuve. Et moi, je me
sentais flouée d'avoir dépensé une somme incroyable dans l'achat d'une robe
qui m'avait semblé appartenir à un autre monde et qui en définitif s'était
banalement salie.
j'étais enfin apaisée. Dehors toute la ville était abandonné à la douceur
de l'après-midi. Je me levais lentement et je marchais jusqu'à la fenêtre.
Je restais là derrière le rideau dans la chaleur du soleil puis d'une main
j'attrapais le tissu et je le tirais d'un seul coup, une lumière vive, éblouissante
me saisie soudain et je souris.
FIN